Tools of Transformation: Redefining Craft in Contemporary Jewellery. Spotlight Artworks by Klimt02

'En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui semble être sa démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils pour fabriquer des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication.'

Dans L’Évolution créatrice (1907), Henri Bergson nous rappelle que l’Homme, est un animal fabriquant d’outils, tout comme les artistes qui, dans leur quête créative, réinventent et réinterprètent ces instruments au sein de leurs pratiques.

Dans cet article, Klimt02 propose une sélection, presque digressive, de pièces et d’artistes où l'exploration des outils et des techniques occupe une place centrale dans la création artistique, notamment dans le domaine du bijou contemporain.


L'outil, qu'il s'agisse d'un instrument simple conçu pour une tâche précise ou d'un dispositif complexe visant un objectif spécifique, nous permet de transformer notre environnement, de réaliser des opérations complexes et de matérialiser nos intentions créatives. En créant ces prolongements de notre corps, nous nous affranchissons de notre dépendance à la nature. Tel une prothèse, l'outil compense ce que la nature ne nous a pas donné. Il n'est pas seulement le fruit de l'activité technique, mais aussi un moteur d'innovation et un acteur clé du développement technologique et artistique.

À mesure que les techniques et les matériaux évoluent, l'histoire des outils s'entrelace avec celle des bijoux, se transformant pour refléter les innovations de chaque époque. Les outils modernes remettent en question les hiérarchies traditionnelles, ouvrent la voie à de nouvelles formes et redéfinissent des savoir-faire anciens.

Car c'est souvent lorsqu’il y a innovation que les artistes réinventent la culture matérielle à travers des explorations conceptuelles et formelles inédites. En approfondissant leur compréhension des techniques, ils se réapproprient les gestes ancestraux et réévaluent les fonctions, les matériaux et le sens même de l'objet, contribuant ainsi à l'évolution des outils et à une nouvelle réflexion sur les techniques.


Outils, outils, outils.
Il y a d’abord l’outil permettant l’amplification de la performance technique, qui va aider le faiseur à ce que la pièce relève de l’excellence.
Giovanni Corvaja, maître orfèvre et alchimiste, grâce à la conception d'outils spécifiques, parvient à réduire l'or en fils aussi fins qu'un cinquième de cheveu lui permettant de créer des volumes à fourrure, rappelant la Toison d'Or mythologique. 

En développant ses outils, Corvaja a mis au point un système complet qui résonne avec la tradition orfèvre tout en aspirant à la perfection à travers une amélioration continue. Il tire le fil pendant des heures à l'aide d'une machine mécanique lui permettant ainsi de réaliser une technique qui, autrefois, n'était évoquée que dans les contes de fées.

Video: Visiting goldsmith: Giovanni Corvaja. Produced by Alexandra Wingate for the University of Edinburgh.


Giovanni Corvaja. Brooch: The Golden Fleece, 2017. Gold, 240,050 single wires (total 4.8 km of wire).


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Jamila Wallentin, explore la relation entre le vêtement et le bijou à travers des transferts techniques et sémantiques. Ses broches Incisions se developpent par bobinage mécanique de fils de coton, de soie et de polyester. À l’aide d’un outil conçu par ses soins, l'artiste encolle progréssivement les fils sur un axe en rotation créé par un moteur de ventilateur fixé sur un support, activant un processus de morphogenèse qui engage un questionnement sur la limite entre l’artefact et l’organisme. Une fois la forme souhaitée obtenue, l'artiste incise la pièce, dévoilant ainsi les couches sous-jacentes de sa genèse et les multiples strates de son évolution.


Jamila Wallentin's working process.

Jamila Wallentin. Brooch: Incision III, 2023. Mechanical winding with cotton thread, polyester, and glue


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De son côté, Jolynn Santiago réinterprète l’outil et le geste technique. Elle collecte des limailles et des chutes de métaux précieux, qu'elle fusionne dans des moules en graphite qu’elle conçoit ou sculpte, selon la forme souhaitée. Pour la pièce présentée dans cet article, elle utilise deux morceaux de graphite, un outil qui perce un cercle parfait, des chevilles amovibles tournées sur un tour, et des broches pour maintenir le moule. Cette approche lui permet de réutiliser des restes de graphite et de fusionner des anneaux de différentes tailles dans un seul moule.

'Je sculpte à la main du graphite haute densité pour créer des moules ouverts. Lors de la fusion des chutes, je dispose soigneusement de fins fils de même épaisseur dans le moule jusqu'à ce qu'il soit plein. Pour 'ring of dust', je tamise et organise les limailles de métal par granulométrie, en les versant en couches dans le moule, avec un anneau fusionné pressé entre deux couches. Après la fusion, les anneaux sont martelés pour atteindre la taille souhaitée. Chaque moule se désintègre après utilisation, car le graphite devient mou et poreux, ce qui limite le nombre de tirages par moule.'

Cette répétition du geste et de l’expérimentation donne à l’outil un rôle central dans la matérialisation de l’intention. S'inspirant de la poussière qui se dépose sur les objets, la dimension narrative évoquée par la fine pellicule s’intègre dans l’acte du processus créatif.


Jolynn Santiago. Ring Band Mould 2024 designed in graphite to create 'ring of pollen.’


Casting process of ring of pollen by Jolynn Santiago.


Jolynn Santiago. ring of pollen. 201 microns, 2024. Hand-filed 18k gold and sterling silver dust.

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Marc Monzó, quant à lui, considère le bijou comme un outil car "Le projet plus vaste réside dans la tentative de compréhension. Les pièces apparaissent selon mes besoins les plus immédiats, ce qui transforme la matière manipulée en une carte de ma réalité." Ses pièces, composées de lignes claires, souvent minimalistes, illustrent comment l'outil peut être un moyen de sculpter la réalité selon ses besoins.

Monzó exploite fréquemment les techniques industrielles à sa disposition pour créer des formes d'une parfaite simplicité. Lorsqu'il se heurte à l'absence d'outils adaptés pour concrétiser la forme souhaitée, il conçoit ses instruments. Par exemple, comme quand il veut transformer un fil épais et rond en un bracelet se terminant par des crochets finement dessinés, donnant l'impression qu'il a été réalisé sans aucune intervention manuelle.


Marc Monzó. Bracelet: Turn, 2018. Silver.


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Kim Buck, utilise toujours la technique comme lien entre son travail, l’univers de l'orfèvrerie et l’usage qu’il en fait. Ses pièces incarnent une véritable contemporanéité, fruits de recherches poussées et de réinterprétations créatives où l'artiste réarrange les éléments à sa manière, créant ainsi des œuvres uniques. Il explique: "Mes créations comportent presque toujours un élément d'innovation. Cela signifie que je passe généralement beaucoup de temps à développer des techniques pour chaque projet. Je cherche constamment à explorer le domaine de la bijouterie et à repousser ses limites et son champ d'application."

Ayant passé sa jeunesse dans l'atelier et l'usine où son père travaillait comme ingénieur, ses œuvres associent savoir-faire artisanal avec innovation technique, comme lorsqu’il injecte de l’air dans des feuilles métalliques pour créer des volumes semblables à des ballons pour les Puffed Up Rings, ou quand il utilise une presse comme ultime geste qui détermine la forme finale de la bague.





Kim Buck's process for making a Puffed Up ring.

Kim Buck. Ring: Puffed Up Color, 2012. 999 silver, powder-coated.

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"Je me souviens toujours de ce que Kim Buck a dit : 'La machine d'impression 3D n'est qu'un marteau de plus.' Lorsque j'étais à l'école, il avait commencé à utiliser l'impression 3D et les techniques CNC il y avait de cela plusieurs années, mais ca n'a jamais été l'essence et le contenu central de son travail. Peu importe qu'il s'agisse de créations faites à la main avec des compétences traditionnelles ou de pièces réalisées avec des techniques modernes, ce sont les médiums et les outils à travers lesquels les concepts et les idées s'expriment." / Mian Wu


Lors de la dernière Brussels Jewellery Week, j'ai eu l'occasion de découvrir une partie du projet de recherche doctorale de Maria Konshake intitulé An Act of Deviation: When Objects Carry Memories. Research on Deviation as an Artistic Strategy to Reflect on the Relationship Between Jewellery, Identity and Memory. Projet qui est mené à l'Université de Hasselt et à la PXL-MAD School of Arts en Belgique et financé par le Fonds Spécial de Recherche (BOF) de l'Université de Hasselt.

Avec le groupe Shadows of the Past, l'artiste par le biais d'un scanner 3D explore de nouvelles esthétiques en examinant la pluralité de la mémoire culturelle, tout en interrogeant le concept de réalité à travers la visualisation simultanée de différentes versions du monde.

"Dans cette partie de ma recherche, je travaille avec des objets historiques provenant de certaines collections muséales. Ces objets sont ensuite scannés et modifiés à l'aide de différentes techniques issues de l'Archive of Possibilities. Cela permet à certains éléments de se démarquer tandis que d'autres s'estompent en arrière-plan." / Maria Konshake

La série d'environ 15 bagues est basée sur une bague papale provenant du Schmuckmuseum Pforzheim: inventaire n°1963/58.
L'utilisation comme outil du scan 3D permet une matérialisation digitale de la forme, ouvrant la porte à une déviation qui fait basculer la pièce vers une autre réalité, modifiant ainsi notre perception en accentuant ou en minimisant certains éléments.​


Maria Konschake digitalisation process.


Maria Konshake. Ring: Shadows of the Past n°13. Project that began in 2022 and is still under development. Black glass.


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Ce concept de réalité soulevé se trouve dans le travail de l’artiste internationalement reconnu, presque agaçant par son ingéniosité si naturelle: David Bielander. Avec la Smoke Ring Machine, il a voulu capturer le phénomène que produit le bijou. Non pas le bijou lui-même, mais sa naissance.

En passant sa première année entière à l'Académie de Munich à construire une machine distributrice, David Bielander a créé un dispositif où, en insérant une pièce, une bague de fumée se forme pour votre doigt. La Smoke Ring Machine, avec ses trois versions, invite les visiteurs à acheter un petit sac numéroté au musée, à se rendre à la machine, y accrocher le sac ouvert puis fermer la porte. Le dispositif se met en marche, déclenche une lumière et crée de la fumée. Une bague de fumée apparaît, et le visiteur doit rapidement presser la poignée pour fermer le sac et le récupérer.

"Anneau de fumée. La naissance d’un bijou. L’instant où le bijou devient bijou. Ce moment de joie et de surprise, voire d’extase. Situé à deux doigts de l’échec et de la totale inutilité. Le bijou vit pour le moment où il est utilisé." / Karl Fritsch à propos de la Smoke Ring Machine.

Bielander crée là un dispositif qui crée le bijou. L’instrument génère la forme et le phénomène visuel, et le phénomène sociétal qu’il engendre questionne la nature du bijou.
"On peut faire attention à cette bague ou pas, à chacun son choix, ce n'est pas que pour le fun. Elle est aussi là pour rappeler que la vérité absolue n'existe pas, que tout dépend de la perspective que l'on choisit. "
/ David Bielander extrait de l'article David Bielander, l'orfèvre du trompe-l'œil, est au Mudac par Florence Millioud-Henriques


David Bielander. Installation: Smoke Ring Machine, 2013. © Photo by Dirk Eisel


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Car ce qui distingue l’Homo sapiens du reste du règne animal c’est sa capacité à modifier son environnement grâce à son intelligence et son observation. L’homme utilise des outils pour transformer et façonner le monde qui l’entoure, intégrant ses pensées, son corps et ses mains dans ce processus. À mesure que l’humanité progresse, les outils se diversifient pour accomplir diverses tâches et résoudre des problèmes, parfois essentiels, parfois moins, allant de la survie à l'art et à la technologie.

Ted Noten, avec son projet Chew Your Own Brooch, lui utilise les dents, fonctionnant comme l'outil résolvant le problème de la création artistique, le problème de ce qu’est un bijou, comment il doit être fabriqué et aussi le problème de l'implication de l'artiste et du futur porteur.
"Atelier Ted Noten a produit un projet intitulé Chew Your Own Brooch, dans lequel il vous fournit un kit de mastication, contenant du chewing-gum, de la poudre de talc et une enveloppe. Vous mâchez votre chewing-gum, le retournez dans la poudre, le laissez sécher, et l'envoyez dans l'enveloppe. Il le coule ensuite dans de l'argent ou de l'or, ajoute une épingle à l'arrière – et voilà… une petite sculpture façonnée par votre bouche est créée !"

Ted Noten. Kit: Chew your own brooch, 1998. Cardboard box, chewing gum, plastic box with chalk powder, stamps. Travail sur commande, en argent plaqué or ou or 18 carats. Pour toute demande, veuillez contacter l'artiste: info@tednoten.com.


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