Narrative Jewellery: Visual Snapshots and Storytelling. Spotlight Artworks by Klimt02

Le bijou contemporain, le bijou en général d’ailleurs, n’est jamais seulement affaire de matière travaillée. Il dépasse sa simple physicalité pour devenir réceptacle d’histoires, de récits, de projections : ceux du·de la porteur·se, bien sûr, mais aussi ceux du·de la créateur·rice et du·de la regardeur·se.
Pourquoi a-t-il été créé? Que fait-il résonner en nous? Et pourquoi le porte-t-on? Est-ce un signe, un rébus, une invitation à deviner l’existence discrète d’une histoire, parfois bruyante, qui circule à travers l’objet?

Dans ce Spotlight Artworks, nous présentons une sélection de cinq pièces que nous pensons narratives, construisant un récit visuel par la disposition de représentations figuratives, de signes, de formes ou de symboles. Des objets qui invitent à suivre un enchaînement presque énigmatique, où la composition devient un langage parfois plus immédiat que les mots.

Dans le bijou narratif, l’image est naturellement convoquée. Source d’idées, de mémoire et de références partagées, elle conditionne la lecture. Comme l’explique Liesbeth den Besten dans Reading Jewellery. Comments On Narrative Jewellery, le sens n’est jamais fixe : il se construit dans l’interaction entre l’objet et le·la regardeur·se, qui y projette son expérience, ses souvenirs, son imaginaire. Le bijou devient ainsi un arrêt sur image, un concentré visuel qui raconte au moyen de formes plus ou moins familières. Et parce qu’il engage la sémiotique autant que le vécu de chacun, le bijou narratif invite chaque regardeur·se à tisser et recomposer sa propre interprétation, sans jamais en figer le sens.



C’est dans ce registre que s’inscrit le travail de Jack Cunningham, qui se définit comme contemporary narrative jeweller. Il explore précisément cette zone de rencontre entre l’émotion, la mémoire et la suggestion. Pour lui, le bijou narratif traduit la manière dont un lieu, un souvenir ou un moment résonne chez celui qui le regarde. Dans sa recherche doctorale, il interroge comment un bijou peut raconter ou évoquer sans imposer une lecture unique. Puisant dans ses paysages intimes et utilisant objets trouvés et ready-made, il construit des assemblages où les récits émergent de la rencontre d’éléments disparates, fragments de vies ou traces glanées.

Sa série Kit reprend la grammaire visuelle des planches de jouets en plastique dont on détache les pièces une à une (dédicace à tou·te·s les wargamers). Ici, les fragments ne composent pas un jouet mais un ensemble d’émotions, d’attachements et de micro-situations. Par leur rapprochement méthodique, ils forment un paysage miniature, offrant un cadre où le récit se déploie progressivement. 

D’ailleurs, petit aparté : Jack Cunningham a été le commissaire de l’exposition Maker - Wearer -Viewer. Contemporary Narrative European Jewellery à Glasgow en 2003, qui a été la première grande exposition consacrée à ce sujet. Elle présentait le travail de plus de 70 créateurs venus de 20 pays européens. 


Jack Cunningham. Brooch: Travel Kit. Photography by David Withycombe. Silver, turquoise, ready-made objects.


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Dans toute l’œuvre de Xavier Monclús se déploie un paysage narratif singulier, à la croisée du pictural et du surréel. Ses Silent Architectures où des histoires se dessinent à travers les maisons blanches miniatures, et ses séries Animals et Toys nous ramènent « to the possibility of happiness, of reconciliation with our feelings and dreams » (Àlex Mitrani).

Minorque, où l'artiste vit, demeure le contexte de la dernière pièce de sa carrière. Plus épurée, plus frontale, elle réunit trois éléments : une caroube, une fourche et la silhouette d’une maison, traitée comme une image métaphorique en arrière-plan. Ces composantes, transportées dans un autre contexte narratif par le titre La gallina diu que no! — référence à la chanson catalane contestataire de Lluís Llach — prennent une dimension critique. Ici, le refus devient celui de la caroube : « Maintenant, c’est la caroube qui dit non ! », évoquant à la fois l’injustice du monde contemporain et les inégalités qui s’accentuent dans l’agriculture.
Comme dans la chanson, la composition devient une forme de récit à déchiffrer. Chaque élément y participe, sans jamais clore le sens, et le jeu de la narration se complète par le·la regardeur·se, qui tente de relier et d’interpréter.
Xavier Monclús. Brooch: SA GARROVA DIU QUE NO…!, 2024. Wood, silver, oxidated silver, alpaca, acrylic and cold enamel painting.


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Dans cette courte exploration du bijou narratif, la pratique de Judy McCaig s’inscrit avec une délicatesse singulière. La figure évocatrice revient sans cesse : une maison, un bateau, un morceau d’horizon, un fragment d’intérieur. Autant de micro-architectures qui fonctionnent comme de petits théâtres du souvenir, des espaces où l’on tente de comprendre ce qui s’est joué ou ce qui affleure encore.
Artiste pluridisciplinaire, Judy McCaig navigue entre bijou, gravure et peinture. Ses créations, composées en plusieurs plans, prennent la forme de topographies sensibles : fragments d’espaces assemblés et visions reconnaissables mais ouvertes. Elle use du dessin, explore surfaces et volumes, traitant la matière comme le temps, par strates, traces et recompositions.

La broche Between Night and Day nous donne le sentiment d’entrer dans un souvenir ou un espace mental. Objets, gestes et fragments domestiques portent l’empreinte d’un moment vécu. Ses textes accompagnent parfois ses œuvres, ajoutant une couche poétique, comme une ombre portée prolongeant le sens.
Judy fait ainsi de la composition un dispositif pour retenir les histoires, les recomposer et les déplacer. Si elle crée des mini-théâtres en volume, certaines de ses créations se composent d’éléments dessinés au trait, proches de compositions illustratives, à l’instar de la broche Black Tree.


Judy McCaig. Brooch: Between Night and Day, 2018. Alpaca, gold tombac, gold leaf, blue pigment, gold mosaic, aluminum, paint​.


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On retrouve un écho de cette approche chez Margo Csipő, dont les œuvres s’organisent en séquences presque comme des vignettes découpées. Sur nacre, elle grave de petites scènes qui deviennent autant de cases de bande dessinée, montrant un geste, un objet, un insecte, une constellation d’images qui, une fois assemblées en une structure rappelant la cotte de maille, forment un parcours visuel que le·la regardeur·se recompose.

Plutôt que d’imposer une narration, Margo Csipő en propose les fragments : un enchaînement suggéré, parfois soutenu par un titre, où l’intime glisse vers l’allusif. Le rythme des motifs, leurs correspondances et leurs reprises créent une circulation interne qui fait qu’une pièce s’active tout autant par ce qui la compose que par celleux qui la portent. Son univers devient une sorte de storyboard poétique : un espace d’exploration où créateur et regardeur coécrivent l’histoire, qui se déplie d’une vignette à l’autre comme d’une pensée à l’autre.


Margo Csipő. Brooch: Slip Between, 2025. Sterling silver, mother of pearl, Baltic amber, pigmented ink, stainless steel, beeswax



« Il n'y a pas de faits, seulement des interprétations », rappelait Nietzsche.
Et c’est vrai . Derrière chaque interprétation se cachent des lectures personnelles, parfois mal comprises, parfois amplifiées. Dans le travail de Kim Buck, cette idée trouve un terrain de jeu unique : la narration y dialogue avec le commentaire, subtil ou manifeste.

Sa série No Title illustre cette approche avec humour. Des pendentifs, chacun représentant une étape de l’élaboration d’un avion en papier, deviennent des objets qui interrogent notre rapport au monde. Dispersés, ces fragments composent une histoire collective qui dépasse le bijou : ce n’est pas la finalité qui compte, mais le processus et les étapes nécessaires pour y parvenir.
Chaque pièce fonctionne comme une unité autonome, mais le sens se déploie pleinement dans l’ensemble et dans le regard de celleux qui l’observent. Chez Kim Buck, comme chez tous les artistes narratifs présentés ici, la narration se construit au-delà de l’objet : chaque bijou devient un point d’ancrage pour réfléchir, sourire, se questionner et constater combien nos interprétations — individuelles et collectives — participent à la circulation des histoires.


Kim Buck. Pendant: 'No Title' paperplane 3, 2023. Copper, 926 silver, 999 silver, shibuichi From the series No Title.


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